Isabelle Gagné et Sven [Bleu diode] s’inspirent des travaux de l’artiste multidisciplinaire Jean-Yves Fréchette depuis 10 ans. Précurseur en art numérique, Fréchette inscrit ses recherches dans la pratique d’une écriture performative, à la rigueur mathématique, par l’accumulation de données et le défrichage de territoires d’expressions, qu’ils soient technologiques (twittérature) ou non (land art). Homme de lettres mais aussi de mesures et contraintes chiffrées, il se définit lui-même comme « géolocalisateur textuel ».
À partir des nombreuses archives récoltées ces dernières années, le duo Bleu diode, dont la démarche repose sur le patrimoine et la mémoire, ont jeté les bases de L’Arpenteur.
Cette œuvre hybride numérique, installative et performative explorait les travaux majeurs de Fréchette réalisés depuis le début des années 1980. Cette fluidité entre les univers artistiques de Bleu diode et de Jean-Yves Fréchette était représentée par les trois espaces occurrents que sont l’Internet, le lieu d’exposition du centre de création numérique TOPO à Montréal, ainsi que le quartier général de Fréchette à Saint-Ubalde, où un grand nombre de ses créations furent réalisées et documentées.
L’élément déclencheur de ce dispositif est le projet Agrotexte qui fêtait ses 40 ans en 2022. Jean-Yves Fréchette avait fait tracer par des tracteurs le poème aussi gigantesque que minimaliste « TEXTE TERRE TISSE » sur les terres agricoles de Saint-Ubalde. En septembre 2022, Fréchette devient L’Arpenteur et retournait sur les mêmes terres qu’en 1982 pour une performance d’écriture pédestre connectée, guidée d’indices envoyés par la poste à la manière de Plis sous pli (1983). Les données géolocalisées de ses marches en lettres cursives étaient extraites et reproduites dans une œuvre web inédite diffusée en temps réel dans la vitrine de TOPO.
L’espace d’exposition était une reconstitution théâtrale à petite échelle du milieu de vie de l’artiste et une cabine de diffusion multi-écrans. Bleu diode a proposé au visiteur de jeter un regard à distance sur la bulle intime de Fréchette ainsi que sur ce bout de territoire transformé par le développement urbain et la crise agricole. La vitrine était aussi un second espace performatif à Montréal où le duo intervenaitt pour y déplacer, ajouter ou supprimer des objets, suggérant le passage de L’Arpenteur dans la région de Portneuf.
Fréchette interroge le statut de l’art sociologique des années 1980 et réenclenche une dynamique de production textuelle qui s’inscrit sur une surface de plus de 1,6 km. Le texte est aujourd’hui dématérialisé et appartient à la logique de transmission du web et des GPS. Fréchette était présent dans le champ du texte à Saint-Ubalde pour y produire quotidiennement d’immenses textes par la marche. Ruralité, textualité, performance et land art, la démarche de Fréchette est à la fois festive et numérique : elle témoigne du plaisir d’écrire et de tracer des signes sur une surface.
Avec L’Arpenteur, Bleu diode a revisité plus largement les travaux phares de la Centrale textuelle de Saint-Ubalde pour restituer l’importance de l’œuvre de Jean-Yves Fréchette dans les pratiques non seulement littéraires, mais aussi performatives et numériques contemporaines.
Vous l’avez manqué ?
L’archive des performances de marche réalisées par Jean-Yves Fréchette entre le 9 septembre et le 29 octobre 2022 dans le cadre de cette exposition est visible à l’adresse topo.art/arpenteur.