Nostalgie, écologie, simulacre
Survol par Stéphanie Morissette
Artiste en arts visuels et numériques et membre du conseil d’administration de TOPO.
En juin 2023, TOPO lançait son appel de dossier pour la programmation 2024-2026. L’organisme cherchait des projets d’exposition en vitrine, des projets de coproduction avec ou sans exposition et des projets de plus longue envergure avec une participation citoyenne. L’appel se voulait ouvert autant à des artistes émergents que reconnus. Le comité de sélection a choisi de ne pas imposer de thématique afin d’élargir l’éventail de propositions et prendre le pouls des artistes qui explorent de nombreux champs d’intérêts avec une grande diversité d’outils technologiques.
Les thèmes qui ressortent des 14 dossiers retenus parmi les 64 reçus se regroupent sous la nostalgie, l’écologie et le simulacre. Plusieurs projets transcendent plus qu’un thème avec parfois de l’humour, de la poésie et l’utilisation de l’intelligence artificielle.
La nostalgie se retrouve dans trois projets avec au départ une esthétique de jeu d’arcades des années 1980. « Brume », de Pixels Collectif, reflète l’éco-anxiété de ses créatrices. Les joueurs doivent éteindre des feux dévastateurs avec de la brume. Une certaine nostalgie se retrouve aussi avec la poésie traduite en code ASCII dans l’œuvre de Pascale Tétreault, « Je t’écris ». Enfin, dans « Soba’s Corner: A Chinese-Canadian Cooking Show – Snack Witch Joni Cheung », l’artiste anime avec humour et ironie des émissions de cuisine pour combler des lacunes d’une culture non transmise d’une génération à l’autre. On vous attend à la rentrée de septembre 2024 pour préparer des dumplings.
L’humour refait surface sous la thématique du simulacre dans les faux documentaires de Dominic Lafontaine et Léa Boudreau, où la spéculation et le changement de perspective forcent une réflexion sur nos rapports vis-à-vis l’autre. Cette nostalgie et l’utilisation de l’humour s’inscrivent en réaction face à la présence grandissante de l’IA, qui ouvre de nouvelles voies et crée de l’anxiété tout à la fois. Que nous réserve-t-elle ? Que va-t-elle remplacer ? La technologie peut mentir, ramener les morts, nous garder en vie de façon créative, et laisser dans les limbes des fantômes n’ayant existé qu’à l’écran, comme dans le travail d’Alfred Muszynski, « The Dynamic of No Solace ». Dans « Murs de chair », Léonie Bélanger et son comparse Éloi Angers-Roy saisissent en suspension des traces de mouvements qui donnent un corps à l’espace numérique.
L’IA permet de créer un faux documentaire sur une ville spéculative avec l’œuvre « La ville Tolédère », de Dominic Lafontaine, ainsi qu’un faux documentaire animalier de Léa Boudreau, qui met en scène le point de vue de petites machines pour observer les humains. L’IA permet aussi de créer de fausses nouvelles et de fausses archives dans l’œuvre de Stephanie Creaghan. « The Dailies 2/ Au re-voir au quotidien (2) » . L’œuvre « Cerebellum » du collectif CIO propose une nature morte comme un faux écosystème en dépression avec l’ajout d’une intelligence artificielle émotive et anxieuse. L’IA peut créer des images et remplacer des artistes, et elle peut se remplacer elle-même dans l’essai vidéo « Revision: Dream State », de Mick Sand. La vidéo et l’IA prennent la forme d’un ouroboros. Toutes ces œuvres permettent des réflexions sur la valeur de la vérité et de la communauté.
D’autres explorent la présence ou l’absence de l’humain et comment celle-ci affecte son environnement. En son absence, on découvre le comportement fascinant des animaux et des plantes dans « Un jardin la nuit », de Caroline Hayeur et D. Kimm. En sa présence, la température se réchauffe, les glaces fondent, les saisons sont chamboulées dans l’œuvre interactive « Écosystème Alpha » d’Aude Guivarc’h. « Mirages », d’Emmanuel Jouthe, explore par la danse la distance et la déconnexion que nous avons avec le vivant en projetant des chorégraphies sur des objets en bois et céramique. Dans « Ces objets qui m’entourent », Ann Karine Bourdeau Leduc met en scène des objets de consommation courants qu’elle a reproduits, comme les vestiges d’une autre époque. Ces derniers projets soulèvent des questions sur ce que les humains laissent derrière eux alors que s’accélèrent les processus destructeurs sur une planète malmenée.
Au programme
→ Exposition en vitrine, mars-avril 2024
Jeu vidéo d’art qui pose un regard critique mais bienveillant sur nos modes de vie à travers la mise en scène d’un futur dystopique.
→ Exposition en vitrine, mai-juin 2024
Sculpture interactive augmentée par le mapping vidéo. Un échantillon d’écosystème qui réagit aux perturbations des visiteurs.
Dominic Lafontaine - La ville Tolédère aime ses enfants
→ Résidence de coproduction avec diffusion web, dès avril 2024
Fiction virtuelle épisodique créée avec l’IA via le site officiel de la ville imaginaire de Tolédère.
→ Résidence de création avec performance de finissage, juillet 2024
Essai vidéo, réflexion sur l’imagerie artificielle combinant jazz et dispositifs installatifs.
→ Exposition en vitrine, septembre-octobre 2024
Installation vidéo et performance sur le rapport aux racines à travers la réinterprétation canadienne de la cuisine chinoise.
→ Exposition en vitrine, novembre-décembre 2024
Installation multimédia construite autour d’un faux documentaire sur la survie d’êtres non-humains dans un environnement anthropocentrique.
Pascale Tétrault - Je t'écris
→ Exposition en vitrine, mars-avril 2025
Sculpture en mouvement investissant les maillages possibles entre le littéraire et le programmé, le poétique et la technique.
Ann Karine Bourdeau Leduc - Ces objets qui m'entourent
→ Exposition en vitrine, mai-juin 2025
Installation sculpturale et multimédia d’objets et de leurs reproductions photographiques et tridimensionnelles. Réflexion sur la surconsommation.
Léonie Bélanger, Éloi Angers-Roy - Murs de Chair
→ Résidence de création avec performance de finissage, juillet 2025
Installation sculpturale et multimédia d’objets et de leurs reproductions photographiques et tridimensionnelles. Réflexion sur la surconsommation.
Collectif CÏO - Cerebellum
→ Exposition en vitrine, septembre-octobre 2025
Installation immersive interactive mettant en scène une intelligence artificielle dépressive dotée d’un système conversationnel bidirectionnel humain-machine.
Emmanuel Jouthe - Mirages
→ Exposition en vitrine, novembre-décembre 2025
Installation sculpturale augmentée mêlant vidéo et danse. Solos chorégraphiques sur matière organique
Caroline Hayeur, D. Kimm - Un jardin la nuit
→ Exposition en vitrine, janvier-février 2026
Installation vidéo, poésie visuelle en noir et blanc sur le monde végétal et animal filmé de nuit avec des caméras de chasse infrarouge.
Stephanie Creaghan - The Dailies, 2 / Au re-voir au quotidien (2)
→ Exposition en vitrine, mars-avril 2026
Installation poétique et visuelle. Questionne l’authenticité des émissions de nouvelles et leur impact sur les perspectives individuelles et collectives.
Alfred Muszynski - The Dynamics of No Solace
→ Exposition en vitrine, mai-juin 2026
Peintures multimédias autour des mythes, de l’hyper-culture et du traitement de la mort à travers les nouvelles technologies.