De la frontière est une proposition de l'artiste Michel Huneault transposée pour une diffusion en ligne avec TOPO. À chaque visite, l’utilisateur fait une expérience unique d’un corpus de soixante images - et autant d’histoires orales – associées et séquencées aléatoirement à l’infini. Au-delà des enjeux sociaux et politiques soulevés par l’oeuvre, il en ressort une participation critique à l’acte d’édition, à la construction de différents sens à partir de mêmes éléments visuels et textuels.
Mot de l’auteur
D’avril à août 2020, en comparaison avec la même période en 2019, il y a eu une chute de 95% des entrées en territoire canadien par voie terrestre - tous types de voyageurs confondus. Conséquence de la Covid-19, la frontière s’est fermée.
Dans l’histoire moderne du pays, la frontière n’a jamais été si étanche et peu empruntée, pour tous et certainement pour les personnes vulnérables. C’est un mur invisible, et pourtant bien concret.
Ici, il n’y a pas si longtemps, les voisins canadiens et américains se connaissaient par leur prénom, prenaient des verres ensemble, partageaient des terres, passaient la frontière en saluant le douanier sans même arrêter la voiture. Plus maintenant.
Déjà en 2001, après le 11 septembre, la relation s’est rapidement érodée avec un changement de ton sécuritaire aux points de passage. En 2010, la nouvelle nécessité du passeport pour traverser a continué à compliquer la cohabitation. La venue de Trump en 2016 a accéléré la division territoriale et idéologique. La pandémie a presque terminé l’isolation des deux voisins : les biens essentiels traversent, les gens d’affaires et les joueurs de hockey aussi, puis ces snowbirds que rien n’arrête… mais surtout, les demandeurs d’asile, eux, ne peuvent plus traverser.
En mars 2020, avant la Covid, ce sont 930 individus qui ont demandé l’asile entre deux ports d’entrée au Québec, tel qu’au chemin Roxham. Puis en avril 2020, on dénombre une seule personne ayant traversé, et un total de 90 jusqu’à la fin août (126 au Canada). De plus, depuis avril 2020, le Canada les refoule immédiatement aux États-Unis, à l’encontre du principe de base du droit d’asile, un précédent inquiétant.
À l’automne 2020, en résidence au centre Adélard à Frelighsburg, j’ai débuté la documentation d’une courte section de frontière qui longe le 45e parallèle, entre les lacs Memphrémagog et Champlain, en territoire traditionnel non cédé des Abénakis. Ici la frontière est arbitraire, ne s’annonce pas, s’affiche peu, elle y est souvent peu ou pas visible : chemins devenus cul-de-sac, champs de soya, cours arrière de résidents, forêts et vergers, cours d’eau indisciplinés. On avance à tâtons pour la trouver, avec un étrange sentiment de culpabilité, cherchant nerveusement les signes discrets du changement de pays.
À chaque retour à l’atelier, je devais m’empresser de tracer un carré noir sur la photographie, pour me rappeler où était la frontière, tel un Post-it tridimensionnel. Ce geste simple et précis - répétitif et administratif- transforme accidentellement, mais significativement le document. L’écran sanitaire, politique, social et humanitaire se dresse stoïque dans le paysage tranquille. Comment aurons-nous changé lorsque la frontière réouvrira?
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On the Border is a proposal by artist Michel Huneault that has been transposed for online dissemination with TOPO. With each visit, the user has a unique experience of the body of work: 60 images and 60 oral histories are paired and sequenced randomly in an infinite chain of associations. In addition to the social and political issues raised by the work, this project offers the viewer a participatory experience in the critical act of editing and constructing different meanings from the same visual and textual elements.
Creator’s Statement
From April to August 2020, there was a 95% drop in land traffic of all types of travellers into Canada, compared with the same time period in 2019. The border was closed in response to Covid-19. In the country’s modern history, the border has never been as closed and hermetic for people, particularly the most vulnerable. It’s an invisible wall yet very real.
Here, not so long ago, Canadian and American neighbours knew each other on a first-name basis, had drinks together, shared land, and crossed the border while waving to the customs agent without even stopping the car. Not anymore.
Already, after September 11, 2001, an increase in security measures and a change of tone at the border started rapidly eroding the relationship. In 2010, the new requirement of a passport to cross the border further complicated the neighbourly relations. The arrival of Trump in 2016 accelerated the territorial and ideological divide, and the onset of the pandemic almost finalized the isolation of the two neighbours. Essential goods, business people, hockey players, and the unstoppable snowbirds are still crossing, but most refugee claimants cannot.
In March 2020, before Covid, 930 individuals requested asylum between two ports of entry at the border in Quebec, such as at Roxham Road. In April 2020, only one person crossed. Through the end of August 2020, a total of 90 people crossed between ports of entry in Quebec (126 total for all of Canada). Moreover, since April 2020, Canada has been sending asylum seekers back to the United States, which goes against the right of asylum and sets a worrying precedent.
While doing an artist residency at the Adélard centre in Frelighsburg in the fall of 2020, I began documenting a short section of the border along the 45th parallel, between Lake Memphremagog and Lake Champlain on the traditional and unceded territory of the Abenaki people. The border in the area is arbitrary, discreet, and often unmarked. It can be completely invisible, hidden among culs-de-sac, soybean fields, residential backyards, forests, orchards, and undisciplined rivers. You feel your way along with a strange sense of guilt, nervously searching for subtle signs indicating a change of country.
Each time I went back to my studio, I marked a black square on the photos, like a three-dimensional Post-it, to remind myself where the border was. This simple, precise act—repetitive and clerical—accidentally but significantly transformed the image. The sanitary, political, social, and humanitarian screen stood stoically in the calm, natural landscape. When the border reopens, how will we have changed?
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